5 décembre 2007

Bob Dylan, Zenith de Paris, 3 novembre 2005


C'est toujours pareil avec Dylan. Ou plutôt non, ce n'est jamais pareil. Résultat on s'attend à tout autant qu'à rien et tout le monde, en allant à un de ses concerts, ou en y allant pas, a raison d'une manière ou d'une autre.

Au minimum, on se dit qu'on se sera payé une bonne tranche de rigolade. Pas devant le Zim', non, mais en apercevant Vincent Delerm entrer au McDo de l'avenue Jean Jaures quelques minutes avant l'ouverture des portes. Bonjour la crédibilité Rive Gauche nostalique des vrais cafés d'autrefois... Mais là n'est pas la question. Heureusement.

C'est toujours pareil avec Dylan. On ne sait jamais à quoi s'en tenir. Ni sur quel pied danser. Et s'il y a une raison valable entre toutes, c'est que peut-être lui non plus ne sait plus sur quel pied danser avec lui-même.

C'est toujours pareil avec Dylan. Alors, comme à chaque fois on se demande s'il est vraiment très raisonnable d'y aller. D'acheter un billet 45€ quand on sait qu'il jouera deux fois sept chansons (avec un entracte de 15/20 minutes) puis qu'il y aura un immuable rappel de deux titres. Quand on l'a déjà vu une fois, deux ans plus tôt au même endroit, et que c'était vraiment très très bien mais que l'on sait que d'un soir à l'autre, celui qui tutoie parfois les Dieux se retrouve plus de fois qu'à son tour à leur lasser leurs godasses. Comme dans un concert à Montpellier en première partie des Stones il y a 8 ans... Alors que faire ? Y aller quand même finalement.

Pas de première partie. Pour quoi faire ? Plus d'Oscar posé sur l'ampli non plus. Un rideau rouge au fond. Fermé. La salle n'est pas tout à fait pleine et on attend, pas trop loin de la scène, sur la gauche. Au milieu de la scène, un micro dont on devine qu'il est celui de Dylan, pas seulement parce qu'il est au milieu, mais surtout parce qu'il ne monte pas bien haut.

Et puis le noir se fait et la voix de Tony Garnier présente Dylan en quelques secondes et une dizaine de phrases ironiques à souhait, croquis désopilant d'un artiste qui a conscience d'avoir été au sommet mais aussi dans des endroits beaucoup moins reluisants mais qui tient toujours la route.

Et puis le concert commence. Dylan au lieu d'empoigner une guitare et de se camper dans sa tenue de sudiste avec chapeau au milieu de la scène se dirige vers un orgue électrique (qu'on entendra peu sauf à la fin).

Et là on commence par se demander : Qu'est ce que c'est que ce titre ? Eh bien c'est Maggie's Farm. A la limite du reconnaissable. Méconnaissable en fait (il faudra que j'aille chercher la set-list sur le net pour le découvrir). Dylan, les jambes arquées et le dos vouté pour jouer (il restera comme ça pendant une dizaine de titres, il s'assiéra pour les quatre derniers) s'égosille. Et comme de plus en plus souvent, on comprend un mot sur dix.

Le groupe, quant à lui joue carré (encore que) et est aussi statique qu'une pile de madriers sous le soleil. Ca promet.

Puis, le groupe enchaîne sur Tonight, I'll Be Staying Here With You extrait de l'album Nashville Skyline. Et c'est toujours pareil avec Dylan, est ce que c'est de l'art ou du cochon ? Est-ce que c'est tout bonnement du flan ou une performance innaccessible à la foule.

Pourquoi va-t-on voir Dylan ? Pourquoi va-t-on l'écouter ? Il a refusé systématiquement toutes les étiquettes qu'on a voulu lui coller. Il a seulement voulu jouer de la musique et est arrivé au bon moment au bon endroit avec l'envie de mordre dans la big apple à pleine dents. Mais aujourd'hui ? En novembre 2005 ?

On ne vient pas écouter celui qui changera notre vie. Même sans le vouloir. On vient, pour certains, écouter celui qui a contribué à la changer. Mais la plupart ? Ils viennent écouter un homme qui n'a jamais réussi à faire de l'ombre à sa légende (par goût de l'intimité non du secret et même la lecture de Chronicles ne nous en apprend pas tant que ça sur lui).

Mais si la musique reste audible, qu'en est-il de ce chant ? De plus en plus aigu avec des passages brusques dans les basses ? Aujourd'hui il semblerait que Dylan ne sache plus baisser le ton à la fin d'une phrase ou d'un vers, mais au contraire, monte dans les aigus dès que possible pour marquer la fin d'une mesure.

Mumbling Bob s'attaque ensuite à Tweedle Dee & Tweedle Dum (extrait de l'album Love And Theft qui est d'ailleurs un excellent disque où Dylan chante juste et dans le rythme). Beaucoup plus reconnaissable que les autres. Le groupe s'amuse un peu plus, les lignes de guitares s'entremêlent et on sent que Bob aime cette chanson, son côté ludique.

Just Like Tom Thumb's Blues est la chanson suivante sur la liste. Et là encore il faut jouer aux devinettes. A moins de connaître tous les arrangements scéniques des chansons, c'est parfois une véritable gageure de donner un titre à ce qu'on entend. Il me faudra attendre le sixième vers pour trouver de quoi il s'agit : When you're down on Rue Morgue Avenue... le premier des quatre titres d'Highway 61 qu'il interprétera ce soir.

Si Dylan rend ses chansons méconnaissables, est-ce sciemment ? Est ce parce qu'il s'en est lassé ? Qu'il ne les aime plus ? On serait tenté de répondre oui. Mais la réponse ne tient pas la route longtemps. D'abord parce que le site officiel de Dylan recense 464 chansons (en comptant les instrumentaux). Et même si le groupe répète régulièrement 200 à 250 titres et que certaines des compositions de Dylan sont largement dispensables, il y a tout à fait de quoi se renouveler dans le fond de répertoire. Si Dylan en avait vraiment assez de jouer ces chansons-là, il ferait autre chose.

Imaginez qu'on dise à un jeune peintre de 20 ans. Ce premier tableau que tu viens de faire est fantastique. C'est du pur génie. S'il te plait passe le restant de tes jours à en faire des copies. Et des copies de copie... etc... Imaginez le chemin de croix d'ennui qui s'en suivrait. Imaginez qu'on dise à un jeune romancier de 20 ans. Ce livre est la plus grande chose qui soit jamais arrivé à la littérature. S'il te plait. Recopie à la main chaque exemplaire que tu voudras en vendre. Qui serait assez fou pour accepter ça ?

Les chansons de Dylan, depuis le début, sont faites pour aller plus loin qu'il ne pensait pouvoir les emmener. Blowin' in The Wind en est le paradigme. Like a Rolling Stone en est un autre. Jimi Hendrix a illustré cela parfaitement en reprenant All Along The Watchtower (qui clôturera le concert), qui sur l'album John Wesley Harding ne se détache pas spécialement (si ce n'est par son texte). Alors voilà. Dylan, comme un bon peintre ou un bon écrivain remet vingt fois son ouvrage sur le métier. Mais chaque fois il cherche autre chose. Chaque fois il se demande ce que cela pourrait donner d'essayer telle ou telle chose sur cette chanson qui pourrait être un hymne s'il laissait un peu de place à ses vieux (mais aussi jeunes) fans pour la reconnaitre avant la dixième mesure.

Les Stones enflamment les foules en deux accords. Il suffit d'entendre l'intro de Satisfaction ou de Start Me Up pour entrer en transe. Pour beaucoup, ce soir encore, le vieux barde du folk a massacré ses hymnes. It's Alright Ma', Girl From The North Country... Mais quelles oreilles peuvent dire cela ? Toutes celles qui s'attendent à ce qu'un concert soit un moment de disque sur scène. Tout ceux qui souhaitent que les chansons que l'on aime soit figées pour l'éternité. A peu près tout le monde en fait. Moi compris.

C'est pour ça que lorsqu'après High Water le groupe quitte la scène on se demande si Dylan va effectivement revenir après cet entracte qu'il nous annonce.

On change de place tandis que le rideau s'ouvre derrière la scène et découvre un ciel étoilé. On se met au fond de la salle, près des gradins au milieu. On attend le retour du troubadour, de Rumblin'Bob.



Et effectivement, il revient. Le groupe s'est changé et arbore des tenues lie de vin. Dylan s'est contenté de troquer son chapeau noir pour un blanc. Drifter's Escape retentit. Suivi de It Ain't Me Babe, popularisée en son temps par les Turtles. Puis c'est Highway 61 et la foule commence à bouger, à s'agiter. Un semblant de magie opère. Du rock, de l'électricité parcourt l'espace. Cette électricité que Dylan a eu tant de mal à imposer quand il en a mis dans sa musique. Puis A Hard Rain's A Gonna Fall et I Don't Believe You (She Acts Like We Never Have Met) font un peu retomber le soufflé. La fin du concert approche. Il reste 4 chansons et Dylan repartira comme il était venu, enveloppé dans le mystère qui, malgré les millions de mots écrits à son sujet, y compris par lui même, ne cessera jamais de lui tenir chaud.

Desolation Row commence alors que Dylan s'assoit enfin derrière son orgue. On sait qu'il n'en bougera plus. Qui remarque alors qu'il intervertit le couplet Du Dr Filth et celui d'Einstein ? Les personnages se succèdent, Cinderella, Robin Hood, Ophelia, Casanova...

Puis Summer Days extrait de Love & Theft clôt le concert. Dylan se lève, bref salut avec ses musiciens et sort.

Le public applaudit d'un côté, hue de l'autre, quelqu'un derrière moi hurle : "C'est nul !!!!". Il doit avoir 20 ans... 25 peut-être... quelque part je comprends qu'il puisse regréter ses 45 €... En 1965 et 1966, c'est le même genre de protestation qui divisait les salles. Et Dylan ironisait : "Je ne comprends toujours pas comment les tickets font pour se vendre si vite..."

Quelques instants plus tard le groupe revient, le ciel étoilé a laissé la place à ce qui pourrait être le logo du never ending tour, si ce nom était effectivement officiel.. Un oeil, entouré d'arabesques et surmonté d'une couronne.

C'est le moment choisi par Dylan pour Like A Rolling Stone et All Along The Watchtower. C'est entre ces deux titres qu'il présente les musiciens. C'est pendant ces deux titres qu'il est ce que la plupart voulait qu'il soit toute la soirée. Un phénomène de foire. Le Dylan qui chante quelque chose qu'on peut reprendre en coeur dès la première mesure. Les titres avec lesquels on peut communier d'emblée. Sans effort. De la musique qui se respire comme de l'air et qui se boit comme de l'eau. Mais, aussi bêtement que tout le monde, on se dit alors qu'on a peut-être pas tout à fait perdu sa soirée, que le vieux Zim' sait et a toujours su ce qu'il faisait. Ou en tout cas qu'il a toujours été assez habile pour nous en donner l'impression.

Un bref salut, rideau.

Set List :

1. Maggie's Farm
2. Tonight I'll Be Staying Here With You
3. Tweedle Dee & Tweedle Dum
4. Just Like Tom Thumb's Blues
5. It's Alright, Ma (I'm Only Bleeding)
6. Girl Of The North Country (acoustic)
7. High Water (For Charley Patton)

Entracte

8. Drifter's Escape
9. It Ain't Me, Babe
10. Highway 61 Revisited
11. A Hard Rain's A-Gonna Fall
12. I Don't Believe You (She Acts Like We Never Have Met)
13. Desolation Row
14. Summer Days

(Rappel)
15. Like A Rolling Stone
16. All Along The Watchtower